09/01/2019
Au début du siècle dernier
Vera Kryjanovskaya (1861-1924) qui publiait ses livres sous le pseudonyme Kryjanovskaya-Rochester, est l’auteur de plusieurs dizaines de romans - historiques, mystiques, fantastiques et d'aventures. Elle fut nommée Officier de l’Académie française et reçut l'Ordre des Palmes académiques pour une description réaliste de la vie et des coutumes du pays des pharaons dans son roman « Chancelier de fer de l'Egypte ancienne », écrit en 1899. Son roman « Flambeaux de la Tchéquie » de 1904 reçut un avis honoraire de l’Académie des sciences russe.
V. I. Kryjanovskaya possédait une sensibilité extraordinaire, jusqu'à la clairvoyance. Elle était bien consciente des mécanismes qui ont abouti à la révolution de 1917. Le roman de politique-fiction « Boucle mortelle », écrit en 1906, dépeint les préparatifs de la révolution juive, et c'est un miroir aussi juste que le tableau de Répine. D’ailleurs, une œuvre littéraire peut rapporter beaucoup plus d'informations.
L’action du roman se déroule dans une ville de province russe. La scène traduite du chapitre 11 dépeint une réunion des Juifs qui sont impatients de commettre un coup de force pour arriver au pouvoir.
À la fin du livre, l’un des protagonistes dit :
– Le pire, c’est que souvent les Russes eux-mêmes travaillent à la destruction de leur patrie. Toute la société est devenue comme folle, sourde, aveugle, et danse sur un volcan qui va l'engloutir, ou tend les mains à n'importe quels escrocs, même aux ennemis notoires, pour que ceux-ci leur mettent des fers.
Le rabbin Iéchoua lui-même présidait la réunion.
- Les fils d'Israël ! - commença-t-il. - Notre réunion d'aujourd'hui revêt une importance particulière, car nous devons discuter de la manière dont nous pouvons tirer le meilleur parti de l'événement qui nous donne un pouvoir réel ouvertement et pas secrètement comme c’était le cas jusqu'à maintenant. J'ai reçu par télégraphe de Saint-Pétersbourg un projet de l’oukase impérial qui sera publié le 17 octobre, soit dans quatre jours. Le comte [S. Vitte], notre puissant patron connu à vous tous, soutenu par la pieuse et vertueuse fille d'Israël, la seconde Esther, qui partage ses œuvres, a finalement obtenu une constitution. Nous devrions seulement veiller à ce que les membres du futur parlement, appelé Douma, soient nos humbles serviteurs.
Un jeune Juif aux cheveux roux, au visage brutal aux pommettes saillantes, sursauta et frappa la table du poing.
- C’est bien, mais ne suffit pas à nous, cria-t-il. - Notre objectif ultime, que Babel a justement indiqué, est une république démocratique, en tant que forme de gouvernement ; dans la sphère économique, le communisme ; dans le domaine religieux, l'athéisme et l'abolition complète de toute religion, car tous les autres cultes, à l'exception du nôtre certes, sont de la pure idolâtrie. Je propose donc de ne pas dépenser d’argent et d’effort pour soudoyer les grands électeurs, mais de donner immédiatement l'exemple en déclarant la république ici. Nous ne serons pas seuls. Odessa fera de même en utilisant les émeutes produites par le manifeste, et l’un des nôtres, Pergament, est déjà nommé le premier président ; et on va déclarer la république dans de nombreuses villes, parce que l'exemple est contagieux. L'autocratie est complètement discréditée, l'armée et la marine sont décomposées, les masses de travail sont plongées dans l'esprit révolutionnaire et sont prêtes à tout, et le pouvoir du gouvernement est insignifiant. En un mot, le moment est propice pour porter un coup décisif au césarisme détestable : c'est pourquoi je propose de discuter des moyens de proclamer la république, de fixer une date et d'élire maintenant les membres du nouveau gouvernement. Notre président se chargera de nous indiquer où sont les armes. Moi, je suis responsable des troupes sous mon commandement.
(Un débat suivit. Le rabbin restait silencieux longtemps. Enfin, il commença à parler.)
Le rabbin se redressa.
- Ce n’est pas que je n’approuve pas les actions décisives... mais cela me fait craindre. Je crains que nous soyons trop pressés d’agir ouvertement, et que les goys ainsi prévenus se rendent compte à temps. Ce matin, j'ai reçu une lettre qui confirma mes suppositions. C’est une lettre de Wolfe Raeder. Vous savez qu'il est un membre influent du Grand Orient de France, des loges maçonniques italiennes, ainsi que de l'Union mondiale d'Israël. Ces connexions brillantes nous suffisent pour avoir toute confiance en lui.
Le rabbin déplia une grande feuille couverte d’écriture fine, avec des marques de crayon rouge en divers endroits.
Le message commençait par indiquer toutes sortes de succès remportés par les Juifs dans divers pays, entre autres en Angleterre, où le roi Édouard VII reporta les réceptions à la cour de vendredi à jeudi, afin que le grand rabbin de Londres puisse y assister. Après, suivaient les endroits marqués en rouge :
«Vous comprenez, mon ami, que le seul et dernier objectif poursuivi par l’association maçonnique, à l’instar de l’Union israélienne mondiale, est de soumettre tous les pays du monde au sceptre de l’Israël, afin que tous les peuples deviennent notre bétail de trait. Cet objectif est proche, mais n'est pas encore atteint car il y a encore des insolents parmi les goyim, comme par exemple à New-York, qui osent écrire impunément « No Jews wanted » sur leurs portes. Bien sûr, l'heure de la revanche viendra, mais jusqu'à présent, l'idée de notre suprématie n'a pas encore suffisamment pénétré la conscience des peuples. Nous devons toujours nous rappeler que toutes les autres nations sont nos ennemies et, surtout, nous devons détester ceux qui adorent la croix. En France, la domination de ce symbole est sapée : le peuple dénationalisé, démoralisé et asservi économiquement, approche rapidement du moment où il cessera d'être une nation et se transformera en un troupeau humain que nous utiliserons librement en le dirigeant selon nos souhaits. Le dernier bastion de la croix, c’est la Russie. C’est pourquoi nous devons nous efforcer de détruire cet abri de l’idolâtrie, et la volonté inébranlable de nos dirigeants est de faire en sorte que ce pays riche soit, par tous les moyens, désorganisé, démembré et anéanti en tant que nation. Tous les efforts du Bund doivent être portés sur cela. Mais je dois vous dire, rabbi Iéchoua, qu’à l’avis de nos dirigeants, ce mandat est exécuté mal. Une révolution provoquée trop prématurément et la participation de nos frères, cela serait trop évident et bruyant. Nous serions révélés... » |
Yaffe l’interrompit avec un rire impudent :
- Comment ne pas deviner, si les Juifs se battent aux premiers rangs et meurent héroïquement pour la cause de la liberté ; si notre or achète les abominables chabbes-chiskels qui nous servent au détriment de leur propre patrie. L'or est le nerf de la guerre, et l’or est entre nos mains. Nous sommes l'âme de la révolution et ses trésoriers ! Alors, pourquoi avoir peur, même si les goys le devinent ?
Enoch répondit sévèrement :
- Tu te trompes, Leïba. Ils ont raison de dire qu'il est plus difficile de se défendre contre une force cachée et inconnue que contre un danger dont on peut déterminer l'ampleur. Cependant, je te demande de ne pas interrompre le rabbin.
Le rabbin continua à lire la lettre :
« Je conclus que le Bund est coupable de manque de patience. Au lieu de poursuivre secrètement le travail de destruction, il est sur le point de provoquer une révolution, lorsque seule une infime partie des masses sociales et populaires est infectée. Deuxièmement, la cruauté brutale et la multiplicité des meurtres, souvent sans aucune signification politique, aboutiront sans aucun doute à une réaction et à l'apparition de la haine contre les Juifs. Mais ce qui est déjà décidément criminel de votre part, c'est si les rumeurs sont vraies que vous alliez proclamer une république. Comment osez-vous engager une bataille ouverte sans avoir confiance en votre succès ? Et si vous perdez ?... Les masses populaires ne sont pas encore prêtes à fourrer leur drapeau national dans le fumier, et si le patriotisme se réveille, tout notre jeu sera gâché, quoique pas pour toujours, mais de toute façon pour longtemps. Et tout cela parce que vous n’avez pas assez de patience pour attendre que l'affaire de la décomposition de l’état, de la société et du peuple soit amenée au degré souhaité, et que les cerveaux soient complètement disloqués pour achever l’autodestruction. Alors, le fruit mûr tombera dans vos mains tout seul comme ce fut en France. Or, la situation politique de la Russie est encore plus favorable qu'en France. Sa décomposition a déjà commencé, la Finlande n'appartient à la Russie que nominalement ; la Pologne mécontente est prête à se lever à l’occasion favorable ; le Caucase est en pleine effervescence, et les provinces baltes sont déjà des régions allemandes et n'attendent que l'arrivée des confrères libérateurs. La guerre avec le Japon fut perdue, terminée par la signature de la paix honteuse pour la Russie, ce qui finira par débaucher l'armée ; et cette paix même ne sera qu'un armistice. Je vous le dis en étant tout à fait au courant. La prochaine fois, ce ne sera pas un petit peuple asiatique à frapper la Russie pour mettre fin à son existence en tant que grande puissance, mais la plus grande puissance militaire du monde. Vous pouvez certes deviner que je parle de l'Allemagne, qui, sous la direction de son brillant empereur, cherche activement à établir son hégémonie sur l'Europe et l'Asie. Depuis 1870, les préparatifs de guerre étaient réalisés avec un art extraordinaire et toutes sortes d'armes de destruction inconnues étaient secrètement fabriquées. À quelle perfection idéale le système d'espionnage des Allemands est porté, vous le savez mieux que quiconque. Son réseau couvrit le monde entier, et les fils conducteurs se concentrent dans une main politique le plus adroit et le plus délicat de notre époque, qui au bon moment, provoquera une tempête pour bouleverser le monde entier. Ainsi, la victoire de l'Allemagne est inévitable, car elle a, de plus, des complices en Russie même. Les terrains pour l'invasion sont soigneusement préparés dans les provinces baltes et en Pologne, et les traîtres fourmillent dans toutes les couches de la société russe. Enfin, nous les Israélites, nous aiderons naturellement les Allemands, puisqu’en Allemagne, nous avons déjà obtenu l'égalité politique que nous réclamons ici, et nous l'obtiendrons des vainqueurs, nouveaux maîtres du pays. En conséquence, l’Union israélienne et les loges maçonniques estiment qu’il est nécessaire d’attendre ladite victoire pleinement assurée de l’Allemagne, plutôt que de mettre en danger notre peuple par des actions aussi insignifiantes et prématurées que la proclamation de la république. Tout ce à quoi nous aspirons viendra tout seul et sans peine par la suite. » |
Le rabbin plia la lettre et jeta un regard scrutateur sur les visages excités des personnes présentes. Ce fut Enoch qui protesta en premier.
- Je suis prêt à contester les arguments de Wolfe Raeder et de ses adhérents étrangers. Ces arguments seraient peut-être irréfutables s’ils connaissaient comme nous la situation du pays. Je me demande seulement à quel point nos dirigeants sont mal informés de ce qui se passe ici. Ils ne savent même pas que nous faisons d’énormes progrès, et la Russie, ce dernier défenseur du christianisme, est sur le point de s’effondrer. Je ne comprends pas comment ils peuvent ne pas savoir que l'immoralité, la vénalité, le manque de conscience nationale dans toutes les couches de l'intelligentsia russe dépassent l'imagination la plus hardie. La jeunesse paresseuse, déroutée et stupide s'est tournée en une sorte de foule de dégénérés ; même le clergé pourrit et dans sa dépravation, devient parfois l'ennemi de sa propre foi. La Russie sera sans aucun doute vaincue par nous, car seul l'amour pour la patrie crée la force du peuple, et ce sentiment est mort, effacé.
Il faut maintenant porter le coup mortel définitif, et tout est prêt pour cela. Bientôt, la grève générale paralysera le mécanisme étatique et toutes les artères vitales de ce colosse aux pieds d'argile cesseront de fonctionner. Les usines deviendront vides, les ouvriers commenceront à construire des barricades, et les troupes insurgées les rejoindront.
Source Boucle mortelle
Traduit par Olga (TdR)