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25/10/2019

 

La destination de l’homme

Extrait de l’ouvrage de saint Irénée de Lyon (en français)

 

Voici les paroles précieuses de saint Irénée qu’il a écrit, à l’âge avancé, dans la lettre à son ami Florin : « J'étais adolescent quand je t'ai vu chez Polycarpe. Je me souviens de ce qui se passait alors mieux que de ce qui se passe maintenant. Et je peux maintenant te décrire les endroits où le bienheureux Polycarpe avait l'habitude de s'asseoir et de parler. Je peux décrire son mode de vie, son aspect et les leçons qu'il donnait aux gens. Une relation proche, comme il l'a dit, avec Jean et les autres qui ont vu le Seigneur, et tout ce qu’il se souvenait de leurs paroles au sujet du Seigneur... J'écoutais cela alors, par la grâce de Dieu, avec zèle, et écrivais non pas sur le papier, mais sur le cœur ».

 

saint Irénée de Lyon

 

Notre Seigneur n’a-t-il pas dit, en s’adressait à Jérusalem : Combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, « comme la poule rassemble ses petits, et tu ne l’as pas voulu ? » Le Christ, par ces paroles, a proclamé la loi primitive de la liberté de l’homme. Car Dieu a créé l’homme libre, dès le commencement ; il l’a laissé maître de son âme, comme du pouvoir de choisir, sans être influencé par la puissance de Dieu. Car Dieu n’use jamais de violence ; toutes ses œuvres sont réglées par l’esprit de sagesse, et il n’inspire que de sages pensées à tous, il a donc doué l’homme, de même que les anges, de la faculté de choisir, (car les anges sont doués d’une âme raisonnable) ; ainsi ceux qui font le bien, reçoivent pour récompense le bonheur, qui est, il est vrai, un don de Dieu, mais dont le dépôt est confié à l’homme. Au contraire, ceux qui ne suivent pas les règles de la justice, seront trouvés vides de bonnes œuvres, et recevront un châtiment proportionné à leur démérite ; car Dieu nous accorde gratuitement le don de bien famé, et ceux qui ne le mettent pas à profit dédaignent «e don précieux, et outragent ainsi Dieu dans sa bonté ; et dès qu’ils refusent et dédaignent le bien, ils tomberont avec justice sous le jugement de Dieu. C’est ce dont nous assure saint Paul, lorsqu’il dit dans son épître aux Romains : « Est-ce que vous méprisez les richesses de sa bonté, de sa patience et de sa longue tolérance ? Ignorez-vous que la bonté de Dieu vous invite à la pénitence ? Et cependant, par votre dureté et par l’impénitence de votre cœur, vous vous amassez un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses œuvres. » Dieu nous a donc donné le pouvoir de bien faire, comme dit l’apôtre dans cette même épître, et ceux qui l’opéreront en recevront la gloire et la récompense, parce qu’ils l’auront fait lorsqu’ils avaient le pouvoir de ne le pas faire ; et ceux qui ne font pas le bien, tomberont dans les mains de Dieu, parce qu’ils n’auront pas fait le bien lorsqu’ils avaient le pouvoir de le faire.

 

Car, si les hommes étaient les uns naturellement bons, les autres naturellement méchants, ceux qui seraient bons forcément ne mériteraient pour cela aucune louange, puisqu’ils ne pourraient être autrement ; et ceux qui seraient méchants ne mériteraient aucun blâme par la même raison. Mais, parce qu’ils sont tous doués des mêmes facultés, et avec le pouvoir de faire le bien, ou de faire le mal ; ils sont dès lors aux yeux des hommes raisonnables (et à plus forte raison aux yeux de Dieu), dignes de mérite et de démérite, de récompense ou de punition. Voilà pourquoi les prophètes exhortaient les hommes à accomplir la justice, et à faire le bien, comme nous l’avons déjà démontré par un grand nombre de preuves ; parce que le pouvoir de bien faire est dans l’homme, et parce que, par sa négligence, il peut perdre de vue les traces du bien et laisser éteindre en lui le flambeau de la raison. Car, tant que nous aimerons le bien, Dieu nous fournira de salutaires inspirations, et nous enseignera sa vérité par la voix des prophètes.

 

C’est pourquoi notre Seigneur a dit : « Ainsi, que votre lumière luise devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. Prenez donc garde à vous, de peur que vos cœurs ne s’appesantissent dans les festins et dans l’ivresse, et dans les soins de cette vie, et que ce jour ne vienne soudain sur vous. Que vos reins soient entourés d’une ceinture, et que vos lampes brûlent en vos mains, comme des serviteurs qui attendent que leur maître revienne des noces, se tenant prêts à lui ouvrir dès qu’il frappera à la porte. — Bienheureux sont ces serviteurs que leur maître trouvera veillants quand il viendra. Et ce serviteur, qui a connu la volonté de son maître, et ne l’a point exécutée, et ne s’est pas tenu prêt, sera frappé de coups. — Mais pourquoi m’appelez-vous Seigneur, et ne faites vous pas ce que je dis ? — Que si le serviteur se dit à lui-même, mon maître ne viendra pas sitôt ; et qu’il commence à battre les serviteurs et les servantes, et à manger et à boire et à s’enivrer : le maître de ce serviteur-là viendra le jour où le serviteur ne l’attend pas, et à l’heure qu’il ne pense pas, et il le séparera, et il lui donnera sa part avec les infidèles. »

 

Ces passages, et un grand nombre d’autres que nous pourrions rapporter, démontrent que l’homme est le maître de sa volonté, que Dieu seulement nous instruit par sa grâce en nous inspirant l’obéissance, mais sans user envers nous d’aucune contrainte.

 

Et, en effet, celui qui ne veut pas suivre la loi de l’Évangile, peut bien en agir ainsi, mais il aura lieu de s’en repentir. Car l’homme a la liberté de désobéir à Dieu et de renoncer à son salut ; mais il n’en est pas moins vrai qu’en agissant ainsi, il se fait à lui-même un tort immense. C’est ce qui fait dire à saint Paul : « Tout m’est permis, tout ne m’est pas expédient. » Dieu n’exerce nulle contrainte sur la volonté de l’homme ; c’est dans ce sens que tout lui est permis ; mais tout ne lui est pas expédient ; ce qui nous avertit de prendre garde d’abuser de notre liberté ; car nous aurions à nous repentir. C’est pour éviter ces fâcheuses conséquences que l’apôtre nous dit encore : « C’est pourquoi renonçant au mensonge, que chacun de vous parle à son prochain selon la vérité. » Et plus loin : « Que votre bouche ne profère aucune parole mauvaise ; mais que tout ce que vous direz soit propre à nourrir la foi et communiquer la grâce à ceux qui vous entendent. » Et encore : « Vous n’étiez autrefois que ténèbres ; mais maintenant, vous êtes lumière en notre Seigneur ; marchez donc comme des enfants de lumière, et non dans la débauche et les festins, dans les impudicités et dans les dissolutions, dans les querelles et les jalousies. C’est ce que quelques-uns de vous ont été autrefois : mais vous avez été lavés, vous avez été sanctifiés, au nom de notre Seigneur Jésus-Christ et par l’esprit de Dieu. » Or, si nous n’avions pas en nous le pouvoir de faire ou de ne pas faire ces choses, quel motif notre Seigneur, et ensuite l’apôtre, aurait-il eu pour nous enseigner de faire les unes et d’éviter les autres ? Ainsi l’homme, dès le moment de sa création, a été fait libre, à la ressemblance de Dieu, qui est souverainement libre ; ce qui n’empêche pas qu’il ne conseille à l’homme de faire le bien, parce qu’en le faisant dans un sentiment d’obéissance envers Dieu, celui-ci s’avance de plus en plus vers la perfection.

 

L’homme jouit de son libre arbitre, non-seulement dans ses actions, mais encore dans sa foi ; ce qui le prouve, c’est que notre Seigneur a dit aux aveugles qu’il guérissait : « Qu’il vous soit fait selon votre foi ; » pour montrer par-là que l’homme est le maître de sa foi, parce qu’il est le maître de sa pensée. Et encore dans une autre circonstance il a dit : « Toutes choses sont possibles à celui qui croit. » Tout cela prouve que l’homme est bien libre dans sa foi. C’est pour cela « que qui croit au Fils a la vie éternelle ; qui est incrédule au Fils, ne verra point la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui. » C’est encore dans le même sens, et pour prouver que l’homme est maître du bien qu’il fait, et qu’il possède le libre arbitre de sa volonté, que le Seigneur disait, en parlant à Jérusalem : « Combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses petits sous ses ailes, et tu ne l’as pas voulu ? Voilà que votre maison sera abandonnée. »

 

On ne peut soutenir un système contraire à cette liberté de l’homme, sans accuser Dieu ou d’impuissance, puisqu’il n’aurait pu donner la perfection à son œuvre ; ou d’ignorance sur la nature des choses, puisqu’il aurait cru pouvoir communiquer son immortalité à des êtres qui n’auraient pas été capables d’en être doués. Mais, nous dit-on, le Créateur aurait dû former les anges de telle sorte qu’ils auraient été dans l’impossibilité de désobéir à ses volontés, et rendre l’homme incapable de se rendre coupable d’ingratitude envers Dieu, ainsi qu’il l’a été. Pourquoi faire l’homme doué de raison, de pensée et de jugement, et ne pas lui donner, comme aux animaux, une nature invariable qui obéit à des lois constantes, qui par conséquent ne juge ni n’examine, et qui ne peut être que ce qu’il lui a été ordonné d’être ? C’est ainsi, en effet, que sont les animaux, dénués d’âme et d’esprit, n’ayant aucune volonté réfléchie, qui suivent toujours la même ligne sans en dévier jamais, et sont poussés à tout ce qu’ils font par une force qui leur est inconnue. Qu’est-ce à dire ? Ceux qui élèvent de semblables difficultés sont donc des gens qui ont en horreur ce qui est bien, et qui regrettent que Dieu ait bien voulu entrer en communication avec l’homme, et qui eussent préféré un bonheur qui n’eût coûté ni soins, ni vigilance, ni mouvement, et qui fût venu comme de lui-même. Mais dans ce cas, qu’eût été leur existence ? un mouvement d’une force aveugle, privée de sentiment, de pensée et de faculté de choisir ? mais alors, ils n’auraient pu avoir aucune jouissance, ne pouvant discerner ce qui beau et ce qui est bon. Peut-on admettre la jouissance d’un bien quelconque, chez ceux qui ignorent ce bien même ? La gloire ne suppose-t-elle pas qu’on a fait quelque chose pour la mériter ? Et peut-il y avoir de victoire sans combat ?

 

Voilà pourquoi notre Seigneur nous enseigne qu’il faut entrer par violence dans le royaume des cieux : « Le royaume des cieux souffre violence, et les violents seuls le ravissent, c’est-à-dire qu’il est le prix du combat, du courage et de la vigilance. » C’est dans ce sens que Saint Paul en parle dans l’épître aux Corinthiens, quand il dit : « Ne savez-vous pas que quand on court dans la lice, tous courent, mais un seul remporte le prix. Courez donc de telle sorte que vous le remportiez. Tous les athlètes vivent dans une grande continence : cependant ce n’est que pour gagner une couronne corruptible, au lieu que nous en attendons une incorruptible. Moi donc je cours, et je ne cours pas au hasard ; je combats, et je ne frappe pas vainement l’air : mais je châtie rudement mon corps et le réduis en servitude, de peur qu’après avoir prêché aux autres, je ne sois réprouvé moi-même. » Ainsi donc saint Paul, comme un bon athlète, nous invite à suivre son exemple et à courir au combat de l’immortalité, afin de mériter la couronne de gloire, qui sera d’autant plus précieuse à nos yeux, qu’elle nous aura coûté davantage. Plus rude a été le combat, plus belle est la victoire, et plus la victoire est belle, plus elle nous est chère. Et, en effet, on aime bien davantage ce qui nous a coûté mille travaux et mille soins, que ce qui ne nous a donné aucune peine. Aussi le Christ, et après lui l’apôtre, nous enseignent-ils, qu’afin d’en aimer Dieu davantage, sa recherche doit être pour nous pleine de travail et de sollicitude. D’ailleurs, un bien qui ne nous coûterait aucune peine à obtenir ne pourrait être qu’une chimère. Le don de la vue nous serait-il si précieux, si nous ne pouvions apprécier combien est grand le malheur d’en être privé ? la santé n’a de prix que parce que nous connaissons la maladie ; les ténèbres font apprécier la lumière, et la mort fait apprécier la vie. Il en est de même du séjour des cieux, qui sera d’autant plus glorieux pour nous qui aurons connu le séjour de la terre. Mais nous l’aimerons davantage en raison même de cette gloire : et c’est par cet amour que notre mérite sera plus grand aux yeux de Dieu. Ainsi, c’est pour notre plus grand avantage et notre plus grand bien que Dieu a disposé toutes choses comme elles sont ; afin que, sachant ce que nous avons à faire, nous ne soyons point pris au dépourvu, et que nous persévérions à l’aimer, comme il le veut. Dieu a fait éclater sa miséricorde en pardonnant à l’homme son péché ; et l’homme doit être instruit de ce qu’il doit faire en connaissant cette miséricorde de Dieu ; et comme le dit le prophète : « Ta malice s’élèvera contre toi ; » Dieu a tout fait pour donner à l’homme les moyens d’arriver à la perfection, et pour lui faire connaître sa volonté et ses desseins. C’est ainsi que Dieu fait éclater sa bonté, que sa justice s’accomplit, et que son Église devient l’image et la figure de son Fils, et qu’elle travaille à rendre l’humanité digne du ciel, digne de voir et de comprendre Dieu.

 

Mais quoi ? dira-t-on peut-être encore, Dieu ne pouvait-il pas former l’homme parfait dès le commencement ? Sans doute, puisque tout est possible à Dieu, en tant qu’il est incréé et immuable. Mais les choses créées par lui ont dû lui être nécessairement postérieures par l’origine et par la date, et par cela même elles sont inférieures à leur créateur : car ce qui a été créé ne saurait être d’une nature incréée ; et pour cela qu’il n’est pas incréé, il est dès lors frappé d’imperfection. Et de ce que les choses créées sont postérieures en date à celui qui les a créées, il en résulte qu’elles ont un temps d’enfance et de faiblesse ; elles sont d’abord inhabiles et sujettes à un développement. Il en est de cela comme de l’enfant à qui sa mère pourrait donner une nourriture plus forte que du lait ; mais l’enfant ne pourrait pas la supporter : ainsi Dieu aurait pu, dès le commencement, donner la perfection à l’homme ; mais l’homme n’aurait pu supporter d’abord cette perfection : il a donc été enfant avant d’être homme. C’est pour cette raison aussi que notre Seigneur Jésus-Christ, qui réunissait en lui toute puissance, aurait pu opérer son avènement sur la terre d’une manière différente qu’il ne l’a fait ; mais il a dû, en se montrant à nous, se proportionner à notre faiblesse. Ne pouvait-il pas venir vers nous dans tout l’éclat de sa gloire ineffable ? mais il savait que nous n’aurions pu supporter cet éclat. Aussi, lui qui était le pain de la perfection du Père, nous a nourris d’abord avec son lait, comme des enfants, parce que son avènement avait lieu selon son humanité, afin que, nous fortifiant peu à peu par cette première nourriture, nous devinssions capables de nous nourrir du corps et du sang du Verbe, et de contenir en nous celui qui est le pain de l’immortalité et l’esprit du Père.

 

C’est là ce qui fait dire à saint Paul parlant aux Corinthiens : « Je ne vous ai nourris que de lait, et non pas de viandes solides, parce que vous n’en étiez pas alors capables. » Or, cette nourriture, c’est le Christ même dans son humanité. L’esprit du Père ne s’était pas encore reposé sur vous à cause de votre trop grande imperfection ; « en effet, ajoute-t-il, puisqu’il y a parmi vous des jalousies et des disputes, n’est-il pas visible que vous êtes charnels, et que vous vous conduisez selon l’homme ? » c’est-à-dire que l’esprit du Père n’était pas encore en eux, à cause de leur imperfection et de leur peu de progrès dans la voie du salut. L’apôtre ne pouvait donc pas encore leur donner cette nourriture solide (car ceux sur qui les apôtres imposaient les mains recevaient l’Esprit saint qui est la nourriture forte de la vie spirituelle) ; or, ceux à qui il parlait n’étaient pas encore en état de recevoir cette nourriture, par leur connaissance imparfaite de Dieu et leur peu d’expérience et d’avancement dans les voies de la perfection. Ainsi, il est donc vrai de dire qu’un Dieu a eu la puissance de douer l’homme de la perfection ; mais que l’homme, en qualité d’être créé, n’était pas capable de s’approprier cette perfection ; ou que même, s’il eût pu en être doué, il n’eut pas été capable de la conserver en lui. Voilà pourquoi le verbe de Dieu, malgré sa grandeur, s’est abaissé jusqu’à revêtir l’enfance de l’homme, afin que l’homme fût capable de le comprendre dans cet état d’abaissement. Ainsi les trésors de la puissance divine sont inépuisables ; mais l’homme, parce qu’il est créé, ne peut jouir des priviléges de l’être incréé.

 

La puissance, la sagesse et la bonté de Dieu éclatent de toutes parts dans les œuvres de la création ; sa puissance et sa bonté se montrent en ce qu’il a créé et formé des choses qui étaient dans le néant, et sa sagesse brille dans la perfection et la convenance de leurs parties et de leurs rapports entre elles. Parmi ces créatures, il en est à qui sa munificence infinie a accordé le privilége de se développer en perfection, et de mériter, par une longue persévérance dans le bien, de partager la gloire de l’être incréé ; mais ces créatures, quoique arrivant à la gloire de l’être incréé, n’en ont pas moins été créées ; elles ne doivent qu’à la munificence de Dieu, qui les récompense de leurs vertus, de jouir de ces avantages. Dieu, bien qu’il élève quelques-unes de ses créatures jusqu’à lui, n’en conserve pas moins sa toute puissante suprématie ; il est toujours le seul avant tous et l’auteur de toutes choses, qui restent toujours placées sous sa dépendance. L’obéissance intelligente à Dieu nous fait mériter l’immortalité ; et l’immortalité est la gloire de l’être incréé ; c’est par cet ordre, par cette hiérarchie et ces métamorphoses, que l’homme, tout créé qu’il est, devient l’image et la ressemblance du Dieu incréé. Le Père veut et commande, le Fils exécute et crée, l’Esprit conserve et perfectionne ; et l’homme, s’avançant peu à peu vers la perfection sous ces divins auspices, y touche enfin et se rapproche de l’être incréé. Or, le parfait absolu, c’est l’incréé, c’est-à-dire Dieu. Il fallait donc que l’homme commençât par être créé, qu’ensuite il prît de l’accroissement et se fortifiât ; il fallait qu’arrivé à sa force il se multipliât, puis, que toutes ces parties de lui-même arrivassent à leur perfection ; enfin la perfection lui donnait la gloire éternelle, et elle-même le rendait capable de voir son Créateur ; car voir Dieu est une gloire ; et la vue de Dieu confère le don de sainteté, et la sainteté approche l’homme de Dieu.

 

Ils se montrent donc dénués de toute raison ceux qui ne veulent pas attendre le temps du développement naturel de toutes choses, et qui imputent à Dieu l’infirmité de leur propre nature. Ceux-là ignorent Dieu, ils s’ignorent eux-mêmes ; ambitieux et ingrats, ne voulant pas être ce qu’ils ont été faits, mais franchissant les lois mêmes assignées au développement de l’humanité, ils voudraient, avant d’être des hommes, devenir semblables à Dieu, leur créateur. Ils ne veulent pas qu’il y ait de différence entre l’être créé et l’être incréé, se montrant en cela plus déraisonnables que les animaux privés de la parole. Mais ces reproches ne sauraient atteindre Dieu, car ils sont le résultat de la déraison de l’homme. L’homme raisonnable, au contraire, rend grâces à Dieu de ce qui a créé tout ce qui existe, d’abord parce qu’il l’a créé ; il reconnaît que l’homme n’a point été créé dieu, lorsqu’il est venu au monde, mais seulement destiné par son développement moral à se rapprocher de Dieu. Quoique Dieu ait créé toutes choses dans l’effusion de sa bonté, cependant de peur qu’on ne le regardât comme un Dieu jaloux et superbe, n’a-t-il pas dit : « Je l’ai dit, vous êtes des dieux, vous êtes tous les fils du Très-Haut ? » Mais, pour nous avertir que nous n’étions pas capables de supporter le fardeau de la divinité, il a ajouté ensuite : « Mais vous mourrez comme des hommes. » Par là tout se trouve expliqué, et son infinie bonté, et notre faiblesse, et l’indépendance de notre libre arbitre. C’est par sa bonté que tout ce qu’il a fait est bon, et que l’homme, partageant le privilége de Dieu, est maître de sa liberté ; mais c’est sa prévoyance qui lui a fait connaître quelle serait la faiblesse de l’homme, et les conséquences qu’elle produirait ; et c’est ensuite dans son amour et sa puissance qu’il a trouvé le moyen de donner à la nature créée de l’homme les priviléges de l’être incréé. Il fallait que la nature créée de l’homme se développât suivant les lois de sa formation, et qu’ensuite ce qu’il y avait en lui de mortel fût absorbé par l’immortel ; et que l’homme, arrivant enfin à la connaissance du bien et du mal, devînt fait à l’image et à la ressemblance de Dieu.

 

L’homme a été doué de la faculté de discerner le bien et le mal : le bien consiste à croire en Dieu, à lui obéir, à garder ses commandements ; c’est là ce qui donne la vie éternelle à l’homme ; et par contre, le mal est dans la désobéissance. Le discernement est comme l’œil de l’âme, au moyen duquel elle acquiert l’expérience du mal et du bien, apprend à juger ce qui est plus parfait, et exécute avec zèle et sans relâche les commandements de Dieu ; le discernement lui enseigne ainsi que ce qui lui fait perdre la vie éternelle est le mal qui provient de la désobéissance à la loi de Dieu, qu’il faut par conséquent l’éviter et rechercher avec ardeur ce qui donne la vie éternelle, le bien, c’est-à-dire l’obéissance aux ordres de Dieu. Et comment l’âme pourrait-elle connaître ce qui est bien, si elle ignorait ce qui lui est contraire, ou le mal ? car nous acquérons une connaissance bien plus sûre des choses que nous avons sous les yeux, que de celles que nous ne pouvons entrevoir que par déductions et par conjectures. De même que la langue acquiert par le goût le sentiment de ce qui est doux et de ce qui est amer, que l’œil distingue par l’effet de la vision ce qui est noir de ce qui est blanc, que l’oreille apprend par l’ouïe à distinguer les sons les uns des autres, ainsi l’âme, par l’expérience du mal et du bien, s’affermit dans la pratique de l’obéissance de Dieu. D’abord, la pénitence qu’elle est obligée de faire de son péché lui en fait sentir toute l’amertume ; puis la comparaison qu’elle fait du bien et du mal lui inspire pour celui-ci la plus grande horreur. Celui donc qui néglige d’acquérir cette connaissance du bien et du mal, court à sa perte et devient homicide envers lui-même.

 

Comment l’homme, qui n’a pas le pouvoir de se créer lui-même, pourrait-il s’égaler à Dieu ? comment cet être, qui n’existait pas naguère, pourrait-il devenir parfait tout à coup ? comment parviendra-t-il à l’immortalité, si, pendant sa vie mortelle, il n’a pas obéi à son Créateur ? Il faut que nous nous soumettions d’abord aux conditions de notre vie d’homme, avant de participer à la gloire de Dieu ; ce n’est pas nous qui faisons Dieu, mais c’est Dieu qui nous fait. Si donc nous sommes l’ouvrage de Dieu, abandonnons-nous à la main qui nous a formés, et qui nous peut perfectionner ; prêtons-nous à l’achèvement de son œuvre autant qu’il est en nous ; gardons-lui un cœur docile et fidèle ; ne défigurons point les traits qu’il nous a donnés ; ne nous laissons point endurcir, de peur que sa main nous trouve impropres à prendre une forme plus parfaite ; ne gâtons pas le premier travail de Dieu, afin de devenir plus parfaits ; c’est son art divin qui fait que le limon de la terre dont nos corps ont été formés n’est pas visible aux yeux. Sa main nous a donné jusqu’à présent notre première forme, bientôt il nous oindra en dedans et au dehors, il nous revêtira d’or et d’argent purs, et il nous donnera une beauté si parfaite, que les anges en seront jaloux. Mais si, résistant à sa main divine et endurcissant son cœur, l’homme devient ingrat envers Dieu, Dieu deviendra dur envers l’homme, et il laissera là son œuvre imparfaite ; il appartient à la nature bienveillante de Dieu d’agir sur ses créatures, et il est de la nature de la créature de ne pas contrarier l’action de Dieu sur elle. Si donc nous nous prêtons autant qu’il est en nous au travail de Dieu, par notre foi et notre soumission, il fera de nous des créatures pleines de perfection.

 

Mais si vous ne croyez pas à la puissance de Dieu et que vous vous soustrayez à sa main, c’est vous-même alors qui serez la cause de votre imperfection, et il ne faudra pas vous en prendre à Dieu. Il a envoyé ses serviteurs pour convier les gens aux noces, et ceux qui n’ont pas répondu à cet appel se sont eux-mêmes privés de participer au banquet. Ici ce n’est pas l’art de Dieu qui est en défaut, car il peut faire naître des pierres mêmes, des enfants d’Abraham ; mais celui qui ne se rend pas digne de cet art divin est lui-même la cause de son imperfection.

 

Ceux donc qui se sont volontairement aveuglés ne se privent éternellement de la lumière, que parce qu’ils ont persévéré dans leur premier aveuglement. Une fois qu’on a perdu la lumière, personne ne peut se la rendre à soi-même, et Dieu ne viendra point en aide à celui qui ne veut pas se prêter à sa bonté réparatrice. Ainsi, ceux qui volontairement se sont privés de la participation à la lumière, et qui ont violé la loi de liberté, ne doivent s’en prendre qu’à eux-mêmes de leur malheur, puisqu’ils jouissaient, en agissant, de leur propre liberté.

 

Dieu, dans sa prescience infinie, a préparé pour chacun un séjour en rapport avec son mérite : un séjour de gloire et de lumière est destiné pour ceux qui, dès cette vie, aiment et recherchent cette lumière incorruptible ; et quant à ceux qui méprisent cette lumière, qui se détournent d’elle, qui la fuient, et qui s’aveuglent en quelque sorte eux-mêmes, ils iront après cette vie dans des lieux pleins de ténèbres, et conformes à ce qu’ils auront recherché ; leur désobéissance trouvera son juste châtiment. Obéir à Dieu, c’est se préparer une éternité de repos : ceux qui ne veulent pas de ce repos, et qui ont méprisé la lumière, habiteront un séjour conforme à cette répugnance qu’ils auront montrée pour la lumière. Comme auprès de Dieu tout est trésor de richesses et de bonheur, ceux qui volontairement s’éloignent de Dieu s’excluent par cela eux-mêmes de tous biens et se livrent au juste jugement de Dieu. N’est-il pas juste que ceux qui ont fui le repos éternel, qui ont fui la lumière, rencontrent à la fois le séjour de la fatigue et des ténèbres ? Dans cette vie où nous sommes, ne dit-on pas que ceux qui fuient la lumière se dévouent aux ténèbres, en sorte que c’est eux-mêmes qui se privent de la lumière et qui recherchent les ténèbres ? Ce n’est donc pas à la lumière qu’il faudra s’en prendre de leur conduite, mais bien à eux-mêmes, ainsi que nous l’avons déjà dit ; car ils ont fui la lumière divine, qui est la source de tout bien, et ils ont recherché les ténèbres dans lesquelles ils seront plongés.

 

Source Traité contre les hérétiques, livre IV, chapitres XXXVII à XXXIX

Le même fragment en russe ici