10/06/2016
«Si vous voulez conquérir le peuple, éduquez ses enfants»
Malgré l'expulsion de la Fondation Soros et d'autres «zélateurs» étrangers, les pousses plantés par eux dans les années 90 ne sont pas sarclés. Les agents d'influence continuent à produire des ignorants et des consommateurs, selon Eugène Spitsyne, historien et pédagogue, membre du Conseil consultatif du comité de la Douma sur la sécurité. Cette année fut publié son quatre-volume «Cours complet de l'histoire de la Russie», que les médias patriotiques appellent souvent «le manuel populaire».
Question. Pourquoi appelle-t-on votre manuel «populaire», est-il écrit par le peuple?
Spitsyne. Non, je l'ai écrit, bien sûr, moi-même. Il a reçu une telle épithète parce que la première édition a été publiée aux frais de dons recueillis dans les réseaux sociaux. Cependant, il a fallu le restructurer, en faire un manuel pour les enseignants. Au début, je pensais naïvement que je serais admis à un concours pour la création d'un manuel dans le cadre du dit standard historique et culturelle, en vertu de l'objectif fixé par V. Poutine en 2013 pour le Ministère de l'éducation et des sciences. Mais, dans ce concours ont gagné les mêmes éditions et groupes d'auteurs dont les œuvres causent une répugnance pour l'histoire chez dernières générations d'étudiants...
Qu'est-ce qui vous a incité à écrire le manuel et pourquoi n'aimiez-vous les manuels écrits par des collègues?
Eh bien, je ne suis pas seul à ne pas les aimer, sinon il n'y aurait pas de tout ce mouvement «du haut». Vous savez, j'ai eu la chance dans les années soviétiques faire mes études universitaires chez deux grands historiens - Apollon Kouzmine et Nikolaï Pavlenko. Quand j'ai commencé à travailler à l'école au début des années 1990, l'ancien système éducatif était en déclin, mais le nouveau concept libéral n'a pas encore été imposé. Il ne restait qu'à composer des conférences moi-même, se tourner vers l'historiographie. J'ai retenu pour toute ma vie la formule du professeur Kouzmine: entre deux points de vue extrêmes ne se trouve pas la vérité, mais le problème. L'étude de ces problèmes constitue l'essence de l'histoire en tant que science.
À quoi servent les problèmes aux écoliers? Peut-être, ils ont besoin plutôt de simples réponses?
Le vice des manuels actuels est en ce qu'ils ne posent pas correctement des questions. On ne peut pas dire même qu'ils imposent l'orientation idéologique vers l'Occident; ils forment les personnes stériles qui ne connaissent pas et ne comprennent pas l'histoire. Lorsque vous ne savez pas ce qui se passait dans votre pays - tout conditionnement de la conscience, toutes manipulations sont possibles. Pendant les vingt ans de mon travail scolaire j'enseignais l'histoire de la Russie comme je jugeais nécessaire, en remplissant formellement les pages du registre de la classe conformément aux règlements ministériels. De nombreux enseignants du fonds soviétique faisaient ainsi. Ce ne fut que grâce à eux il est resté quelque chose dans l'esprit des jeunes de l'époque. Maintenant, la situation a radicalement changé: le contrôle administratif est renforcé, les enseignants pensant et compétents sont remplacés par les enseignants demi-savants formés au cours du processus de Bologne, qui souffrent, avant tout, eux-mêmes de leur propre ignorance.
En voyant tout cela de l'intérieur, en 2000 j'ai publié à mes frais mon premier livre pour les enseignants «Histoire de la Russie de IX-XIX siècles». L'édition fut épuisée immédiatement, puis, longtemps après, les collègues me tiraillaient: où trouver? Déjà directeur de l'école, j'ai écrit un autre livre sur la culture russe de la même période, pour qu'on puisse les utiliser en parallèle.
Je n'impose aucune vue de groupe ou une idéologie spécifique. À la base est l'historiographie, des faits foncièrement fiables avec l'énumération de différentes conceptions sur les nœuds les plus problématiques de l'histoire nationale. L'amour pour la Patrie n'est pas déclarée, mais découle de la méthode même.
Au milieu des années 90, au sein de l'école russe s'est établiе la conception libérale de la présentation des connaissances, appelée par le beau terme «la variabilité de la trajectoire éducative». Les conséquences se sont avérées désastreuses...
Ça dépend du point de vue. La bouillie dans la crâne et la citoyenneté floue chez les jeunes sont mauvaises choses du point de vue de l'État voulant rester fort, souverain. Mais pour ceux qui veulent voir la Russie une colonie mourant paisiblement, c'est du bien.
Comment est la publication de nouveaux manuels aujourd'hui? Est-ce grand business?
Eh oui! Dans les années 90 les fonctionnaires de l'éducation ont réparti entre eux tous les éditeurs scolaires. Aujourd'hui le marché est pratiquement un monopole, parce que l'empire libraire Eksmo-AST a dévoré les grands éditeurs de manuels scolaires comme Drofa et Ventana-Graf. Le jeu d'auteurs ayant été composé des mêmes personnes, les mêmes erreurs et distorsions passaient du manuel au manuel.
Par exemple, «Histoire» de Alexandre Danilov, répandue aujourd'hui à l'école. Danilov lui-même, en passant, est un spécialiste sur l'histoire du parti communiste de l'Union Soviétique. Voilà qu'il joue le rôle de la tête d'un collectif d'auteurs, ayant formé une nouvelle série de la maison d'édition Lumières. Mais pendant bien d'années il dirige le centre de l'éducation humanitaire de la même maison d'édition.
Le schéma est connu. Mais où est le mal dans le manuel?
En termes de saturation, il est déplorable. Un enfant qui veut savoir quoi que ce soit, est obligé d'acheter un tas de matériaux supplémentaires, pour se saturer tout simplement par les dates, événements, noms, dont il n'y a pratiquement pas. Le manuel est mal structuré: un texte nu avec des questions formelles, triviales. Il n'est pas intéressant aux enfants, les pédagogues d'aujourd'hui ne peuvent pas travailler avec ce manuel.
Voici un exemple de l'autre série, les manuels scolaires de Leonid Liachenko et Igor Andreev, la maison d'édition Drofa. Je n'ai rien contre eux personnellement, je parle de la qualité des publications. Par exemple, il y a une illustration, un portrait du dernier ministre de l'intérieur de l'Empire russe, Alexandre Protopopov. Sous la photo il est écrit: «Sergeï Mouromtsev, président de la première Douma d'État». J'ai commencé à penser: d'où vient une telle erreur? Je suis allé en ligne et je vois la même erreur sur Internet. C'est-à-dire, les éditeurs tirent leurs informations de l'Internet et, sans vérifier, publient par des millions de copies. Dans les manuels scolaires sont dispersés les bévues monstrueuses, y compris de grammaire, et personne ne porte responsabilité...
En octobre, au cours de la table ronde «L'assurance juridique de l'unité de l'espace éducatif de la Fédération de Russie» dans la Douma d'État vous êtes intervenu très brusquement, en appelant les noms et les structures concrètes qui détruisent systématiquement ce domaine. Quel est le mécanisme de cette activité?
Il est varié. Voici un exemple récent. J'ai eu l'occasion de lire le manuel didactique de Ludmila Tarasenko de Astrakhan, «Les revirements du destin» - pour préparer les leçons de l'histoire sur la Seconde Guerre mondiale à l'école secondaire. Il y en a l'analyse du roman «The Boy in the Striped Pyjamas» sur l'Holocauste de l'écrivain irlandais John Boyne. Avec cela, aux élèves sont offertes les citations de «L'archipel du Goulag» de Soljenitsyne disant que le pouvoir de Staline ait prétendument trahi nos soldats trois fois. Et ce plat assorti devrait former une idée de la Grande guerre patriotique chez les écoliers. C'est effectivement le reformation de la conscience, la rupture de la relation entre les générations.
Quelle est l'origine de cela? Est-ce possible qu'on l'invente tout seul?
Beaucoup sont assis sur les subventions. On «se vend» pour des bagatelles - un voyage payé à l'étranger, par exemple, à une conférence internationale. Là-bas, les participant sont discrètement orientés vers des certains objectifs. Puis, ceux qui commencent à mettre activement en œuvre ces objectifs dans leurs écoles - on les nomme méthodistes, on les promeut aux autorités municipales, aux divers conseils communautaires et puis, on les enrôle aux médias libéraux comme experts. La technique est mise au point.
Beaucoup chez nous ne réalisent pas que, sous l'écorce extérieure de ce conditionnement idéologique réformiste, pendant toute la période post-soviétique on effectue la destruction totale de l'éducation nationale, la destruction ciblée, en profondeur, bien gérée d'outre-océan. Les fondations connues ont commencé l'affaire, dont la Fondation Soros, la Fondation MacArthur, Freedom House. La plupart d'entre eux sont déjà expulsées de la Russie, et à juste titre. Mais leurs structures filiales comme «l'Institut de l'éducation ouverte» demeurent et agissent. Chaque fois que vous entendez ce nom, sachez que «les enfants de Soros» y travaillent.
Tous ceux qui étaient à l'origine de la destruction, continuent à diriger - Alexandre Asmolov, Alexandre Adamsky, Anatoly Kasprjak, Mikhaïl Schneider, Viktor Bolotov. Je les appelle «ceux d'Asmolov» parce que cet académicien de l'Académie des sciences de Russie, directeur de l'Institut fédéral pour le développement de l'éducation, est une figure terriblement influente: il reste invariablement premier adjoint auprès déjà quatre ministres. L'École supérieure de l'économie «couronne» l'édifice de l'antisystème. Maintenant, la pédagogie de l'école ne peut pas se passer de ses conceptions. Pour ce faire, à l'École supérieure de l'économie fut créé «L'Institut pour le développement de l'éducation» dirigé par Irina Abankina et supervisé par Lev Lubimov, adjoint de Evgueny Yasine, chef de l'École supérieure de l'économie.
Sur la base de la pseudo-science «pédologie» , ils ont développé le concept de la ségrégation de la société en «classe créative», «classe de service», «le prolétariat industriel et rural». Pour chaque caste est prévu un certain niveau de connaissances. Autrement dit, où la chèvre est attachée, il faut qu'elle broute. Dans les trois districts de Moscou, parmi 37 centres éducatifs incluant 224 écoles et jardins d'enfants, on introduit déjà le système de test et de la répartition en telles «classes». Et cela est prévu non seulement pour les élèves, mais aussi pour les enseignants.
Le coup est assené directement sur deux domaines de l'éducation scolaire: d’une part, sur la physique et mathématiques, alimentant l'industrie de la défense, et d’autre part, sur le domaine humanitaire, qui détermine la conscience civique de la nation. Par conséquent, l'histoire est présentée de manière perverse et stérile, les heures de la langue et littérature russe sont réduites.
J'ai vu récemment une nouvelle version «démo» de l'examen national unifié, approuvé par l'Institut fédéral de mesure pédagogique et signé déjà par notre «historien en chef», l'académicien Efime Pivovar. Quelle horreur! Disons, la tâche est de mettre en corrélation des événements dans les colonnes de droite et de gauche. Par exemple, «Le Don paisible», «Le Domostroï» et «Le Dit de la compagnie d'Igor». Et dans la liste des questions: «Lequel de ces œuvres Ilya Repine a-t-il peint»? Ce sont des conneries. Pour ceux qui ont obtenu l'éducation soviétique de base - soyez-vous historien, mathématicien ou un mécanicien - c'est de l'absurdité, n'est-ce pas? Pourtant, les auteurs du test l'estiment normal pour les écoliers actuels. Où descendons-nous? Rappelez-vous, nous nous sommes moqué autrefois des Américains dont la moitié ne pût pas nommer la capitale de leur propre État. Bientôt, à nous moquer de nous-mêmes...
Dénoncer ouvertement le système uni et vaste, vaut-il la peine?
Bien sûr. Et il y a des partisans de mêmes idées. Hélas, la plupart d'entre eux, travaillant dans les instituts, écoles, sont liés par des conventions. Même dans le Ministère de l'éducation et des sciences il y a des hauts fonctionnaires qui expriment la solidarité complète avec moi, mais ils ont peur de la manifester quelque part. Un grand soutien vient de Irina Yarovaya, président du Comité de la Douma pour la sécurité et la lutte contre la corruption. Mais je vois le mur carrément impénétrable bâti contre son équipe.
En somme, le monstre est gigantesque et puissant. Donc, la bataille pour l'éducation, est-elle perdue?
Nous n'avons pas le droit de perdre. La sagesse orientale dit, «si vous voulez conquérir le peuple, éduquez ses enfants». Il faut que tout le monde s'unisse pour soutenir les forces patriotiques saines dans notre société. Peut-être, cela n'est pas très perceptible, mais elles se battent, elles ont de la peine. Si nous allons gronder contre les autorités, assis sur le canapé comme d'habitude, sans participer personnellement à quelque chose, nous nous trouverons bientôt même pas en ruines, mais en cendres.
Article original La culture
Traduit par Olga (TdR)