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18/02/2022 (2030)

 

Vers et prose. Le voile soulevé

 

И вот уже сокрылся день.
Восходит месяц златорогий.
Александрийские чертоги
Покрыла сладостная тень.
Фонтаны бьют, горят лампады,
Курится легкий фимиам,
И сладострастные прохлады
Земным готовятся богам.
В роскошном сумрачном покое,
Средь обольстительных чудес,
Под сенью пурпурных завес,
Блистает ложе золотое.

Voilà que le jour est déjà disparu.
Le croissant aux cornes d’or se lève.
Une ombre délicieuse couvrit
Les palais d’Alexandrie.
Les fontaines lancent les jets,
Les lanternes luisent, l’encens léger fume,
Et des plaisirs voluptueux sont préparés
Pour les dieux terrestres.
Dans une salle somptueuse, crépusculaire,
Parmi des séduisantes merveilles,
Couvert de voiles purpurins,
Un lit d'or resplendit.

 

Ce vers était auparavant le dernier dans la nouvelle d’Alexandre Pouchkine Les nuits égyptiennes, au moins, il y était ajouté comme une partie possible. Mais en 1959, il y eut une petite révolution littéraire : le verset a été coupé. Dans mes deux livres de Pouchkine avec cette œuvre elle ne contient pas ce verset parce qu’ils sont parus plus tard.

 

La disparition du vers a été accompagnée d’un article de 1959, signé du nom d’un auteur connu des études littéraires... qui était décédé deux ans plus tôt. Cet article, une contrefaçon bon marché, excuse la suppression, en substance, par ce que le verset s'était trouvé sur une autre feuille de papier. Et donc, pendant 120 ans, il y eut des éditions et des rééditions , et tout à coup en 1959, il est devenu nécessaire de cacher le vers du public. C’est seulement grâce à une citation encyclopédique qui illustrait le mot фимиам (encens) que j’ai récemment découvert le verset inconnu et aussi l’article qui a justifié le vol.

 

Pouchkine a évoqué le même sujet dans le petit récit en prose Une soirée à la datcha [1], où un personnage parle de la proposition faite par la reine égyptienne Cléopâtre à ses invités, en citant comme source l’historien Aurelius Victor. Vient d'abord la description de l’ambiance :

      « La nuit sombre et chaude couvrit le ciel africain ; Alexandrie s’endormit ; ses places sont désertes, ses maisons éteintes. Au loin, le Pharos rayonne dans le vaste port, comme une lampe allumée au chevet de la belle dormante.

 

      Les palais des Ptolémées sont éclairés et bruyants : Cléopâtre donne un festin à ses amis ; les couchettes en os entourent la table ; trois cents jeunes hommes servent les invités, trois cents jeunes filles coltinent des amphores pleines de vins grecs ; trois cents Eunuques noirs les surveillent silencieusement. »

 

Puis quelques mots sur la mer, les sphinx...
Ces « trois cents Eunuques noirs » qui surveillent, ainsi que les « dieux terrestres » du vers cité plus haut, représentent sans doute les rois de la terre, les esprits dirigeants du Psaume 2. Quels sont les plaisirs voluptueux préparés pour eux ? Nos péchés constituent un délice pour les mauvais esprits, c’est Méphistophélès qui le dit dans Une scène du Faust.

 

***

Et ceci, incorporé dans le premier poème improvisé des « Nuits » ?

 

Зачем крутится ветр в овраге,
Подъемлет лист и пыль несет,
Когда корабль в недвижной влаге
Его дыханья жадно ждет?
Зачем от гор и мимо башен
Летит орел, тяжел и страшен,
На чахлый пень? Спроси его.
Зачем арапа своего
Младая любит Дездемона,
Как месяц любит ночи мглу?
Затем, что ветру и орлу
И сердцу девы нет закона.

Pourquoi le vent tournoie dans le ravin,
Soulève les feuilles, porte la poussière,
Quand le navire dans l’eau tranquille
Attend avidement son souffle ?
Pourquoi, laissant les monts et les tours,
L'aigle descend, redoutable et lourd,
Sur une frêle souche ? Demande-le.
Pourquoi la jeune Desdémone
Aime son Maure, comme le croissant
Aime la brume de la nuit ?
Parce qu’il n’existe pas de loi 
Pour le vent, l’aigle et le cœur de la fille.

 

Le vent écrit ici comme ветр n’est pas l’une des licences poétiques mentionnées au début de la nouvelle, mais c’est le vent qui dénonce du 3e livre d’Esdras en slavon, chapitre 12, versets 31 à 33 (et dans le texte latin, figure le mot unctus, oint), celui qui est laissé pour la fin « pour dénoncer leurs iniquités et révéler leurs outrages ».

 

***

Dans les « Nuits égyptiennes », un artiste italien arrive à Petersbourg pour gagner de l’argent à l’aide de son talent d’improvisation : il compose immédiatement des vers à un sujet proposé. Il vient voir un poète russe qui est un mondain et qui lui organise une soirée dans un salon pour donner un récital. C’est ainsi que les vers et la prose se rencontrent dans la nouvelle. La première improvisation a été jouée quand les deux poètes étaient seuls ; la deuxième, dans un salon plein de public. Quelques thèmes ont été suggérés pour improviser, puis le tirage au sort a désigné le sujet « les amants de Cléopâtre ». Selon Aurelius Victor, Cléopâtre a proposé une nuit avec elle en échange de la vie. Trois hommes parmi les invités au festin se sont portés volontaires.

 

Чертог сиял. Гремели хором
Певцы при звуке флейт и лир.
Царица голосом и взором
Свой пышный оживляла пир;
Сердца неслись к ее престолу,
Но вдруг над чашей золотой
Она задумалась и долу
Поникла дивною главой...

Le palais brille. Le chœur chante
Au son des flûtes et des lyres.
La reine anime son fastueux festin
Avec son regard et sa voix ;

Les cœurs s’élancent vers son trône,
Mais soudain rêveuse,
Devant la coupe d’or, elle réfléchit
Et baisse sa tête merveilleuse...

 

Auparavant, je ne voyais dans ces vers que la splendeur poétique. Mais on peut remarquer le mot choisi pour dire palais, le mot чертог qui a une certaine ressemblance sonore avec le mot черт (diable), et alors le poème est perçu différemment.

La reine égyptienne joue un rôle de démon dans le poème. Et les trois amants de la reine et de la mort ressemblent trop aux trois peuples. Dans la deuxième révision, Pouchkine a déplacé la description des trois hommes au milieu, devant le contrat mortel déclaré par la reine, sinon le sens aurait été encore plus explicite.

 

C'est fait, trois nuits sont achetées, l'ordre des nuits est décidé au sort. Bénis par les prêtres, les dés sont tirés de l’urne fatale devant les hôtes immobiles.

 

Le premier est un brave guerrier romain, un légionnaire grisonnant. Il releva le défi de la femme hautaine comme il aurait relevé à la guerre un défi du combat furieux.

Le deuxième fut un jeune philosophe, élevé dans les jardins d’Épicure, qui adorait et chantait les trois Grâces, Vénus et l'Amour.

Le dernier, très jeune, plaisait au cœur et aux yeux comme une fleur de printemps à peine éclose, son regard scintillait, la force inconnue des passions bouillait dans le jeune cœur... Et la reine fière le fixe d’un regard triste.

 

 

 

Olga (TdR)